Rien de pire qu’un bon patron

Car on n’est pas une grande famille. Ni une petite.

Punchline
9 min ⋅ 11/12/2025

Voici Punchline, la newsletter du duo Punchie. Nous sommes Félix et Jean, entrepreneurs et coachs depuis 8 ans, spécialisés dans l'amélioration de la performance des dirigeants et dirigeantes à travers les interactions et la communication. Notre mission : soulever les bonnes questions, décrypter les dynamiques d'équipe, aider les leaders à gagner en lucidité et à prendre des décisions.

Hé, on a lancé un podcast ! Si en plus de nous lire, ça vous dirait de nous entendre et/ou nous voir, découvrez Punchtime, disponible en podcast et en vidéo. Dans Punchtime, on inverse les rôles de l’interview classique : ce sont des dirigeantes et des dirigeants qui nous interrogent, nous, sur un dilemme de l’entrepreneuriat. Résultat, on y parle sans tabou des vraies questions et des vrais problèmes. Faut-il projeter le succès pour réussir ? Comment passer de fondateur à dirigeant ? Diriger dans l’ombre ou s’exposer ? On adore le faire, et on espère que ça vous plaira !
Allez c’est parti pour nous en version texte cette fois.

Bon. Jusqu’ici on a quand même été assez sympa. Relativement consensuels. Limite gentillets par moments. Eh bien, voici le premier article de Punchline qui devrait nous attirer des haters.
Pire : des haters du côté des gens gentils, avec des valeurs, qui veulent bien faire.

Il nous reste alors deux options. Soit on essaye d’adoucir un peu notre propos, soit on fonce pleine balle sur l’autoroute de la controverse. On choisit la deuxième.

Sans plus de préambule, c’est parti.

On a choisi l’expression “bon patron” (et on va utiliser le masculin pour creuser le stéréotype) parce qu’elle évoque tout de suite une image un peu vieille France du “patron” sympathique, un poil paternaliste, apprécié de tous. En fait, le “bon patron” dont on veut vous parler, c’est un peu l’évolution Pokémon-start-up du “notable” de petite ville.

Le bon patron d’aujourd’hui, la phrase qui le caractérise, c’est “chez nous, c’est différent”. Car le bon patron ne fait pas comme les autres : lui, il est cool. Il veut le meilleur pour ses salariés. Il peut même lâcher l’expression “grande famille” au premier degré, ou au moins parler de ses employés comme de “potes”. Parce qu’il se sent proche d’eux. Il connaît tout de leur vie, il leur raconte la sienne. On peut tout lui dire. Il recrute des amis à lui, ou des gens avec qui il y a un “feeling” en entretien. Il participe aux soirées de ses équipes, il s’y met des caisses avec tout le monde et c’est souvent lui qui finit par danser sur le bar. Il porte certains employés aux nues, et leur offre une trajectoire météorique à grands coups de promotions. Lorsqu’un collaborateur traverse une passe difficile, il fait tout pour lui simplifier la vie. Il ne vire pas les gens. Il pardonne aveuglément les erreurs. Il fait de l’opérationnel comme tout le monde, parce qu’il ne se sent pas au-dessus des autres.

Bref, c’est un patron tellement sympa qu’on en viendrait presque à oublier que c’est lui, le patron.

À cette lecture, vous avez peut-être ressenti une palette d’émotions. À deux-trois exagérations près, vous vous êtes peut-être reconnu, ou vous avez reconnu quelqu’un. Et surtout, peut-être que vous vous êtes dit : ben c’est quoi le problème à être sympa ?

Le problème, ce n’est pas d’être sympa. Le problème c’est que la belle utopie finit invariablement par partir en sucette. Ça ne loupe jamais. Pourtant, au début, c’est super, y a pas à dire.

Puis soudain, après une lune de miel où tout le monde est tout beau tout gentil, l’équipe commence à demander des KPI, des décisions, un plan, bref : un peu de clarté. Elle reçoit des grandes annonces, de la réassurance, énormément de validation… mais pas de clarté. 

Puis soudain, l’employé porté aux nues, à qui on a boosté l’ego et qu’on a placé trop jeune à un poste à responsabilité… réalise que le costard est peut-être un peu grand. Il se tourne vers le bon patron pour un peu de cadre et de direction… et n’en reçoit pas. Il commence à se sentir en échec. 

Puis soudain, ceux qui bossent bien commencent à voir qu’on tolère vachement les tire-au-flanc. Qu’on accepte leurs bonnes excuses, qu’on pardonne leurs erreurs : personne ne se fait jamais recadrer ou virer. Certains, experts en la matière, arrivent même à profiter de la gentillesse du patron pour obtenir plus que les autres. Les employés sérieux commencent à se demander à quoi ça sert, de bien bosser, du coup. 

Puis soudain, il y a des débordements. Une sous-culture un peu toxique qui émerge, parce qu’à force d’être laxiste sur les erreurs, eh bien les erreurs se multiplient. Des choses inacceptables se disent et se passent dans la boîte.

Puis soudain, quand un employé pousse le bouchon vraiment trop loin, il n’y a pas d’autre choix que de s’en séparer. Mais la décision est dure à prendre, donc ça traîne pendant des mois. La situation dégénère, l’employé devient néfaste pour tout le reste de l’équipe. Au moment du départ, le bon patron se sent tellement coupable qu’il se rachète avec l’argent de la boîte, en lâchant une indemnité bien au-dessus des standards du marché.

Et paf, ça fait des Chocapic.
Les Chocapic étant ici une défiance croissante envers le bon patron. Parce qu’à force d’annonces sans suite et de déferlements d’affection sans soutien effectif, les gens ne sont plus dupes. Ils voient bien qu’ils ne peuvent pas compter sur leur dirigeant, parce que ses grandes promesses ne donnent jamais rien. Ils commencent à douter de sa sincérité, et même de sa compétence. Ceux qui ont été promus à toute vitesse sans aucun accompagnement lui en veulent de les avoir lâchés dans la nature. Et à force de voir des personnes sous-performer ou déraper sans aucune sanction, de plus en plus de gens lâchent l’affaire, et deviennent des passagers clandestins. Il commence à y avoir des départs. Ça peut même finir en révolte.

Et là, le bon patron se sent trahi. “Avec tout ce que j’ai fait pour vous ?” “Tout ce que je vous partage, vous donne, vous laisse faire, vous vous permettez de vous rebeller ?” Après avoir retardé l’application de sanctions, il va cette fois frapper fort. Violemment. Se venger, en se victimisant : “regarde ce que tu m’as fait faire”. 

Comment on peut en arriver là ?

Il y a deux raisons à ça. Et pour les expliquer, il va falloir qu’on fasse intervenir deux concepts importants : le pacte relationnel, et la pyramide des besoins des employés.
Ne vous inquiétez pas, pas trop de charabia coaching, ça va être très concret cette histoire.

1/ Le pacte relationnel

Ça fait “grande notion” comme ça mais c’est super simple : dans absolument toute relation entre deux personnes, il y a un pacte relationnel qui se crée. Une sorte de contrat tacite qui se noue et définit le type de relation et les attendus des deux côtés. L’intérêt du truc, c’est que même si chaque pacte est unique, il est prédéfini culturellement, donc ça simplifie les choses : ça permet d’établir sans même y penser un cadre pour la relation, et de créer de la confiance entre les humains.

Même avec votre boulanger il y a un pacte relationnel : il implique de se dire “bonjour”, “merci”, “bonne journée”, et d’être efficace des deux côtés. Toute déviation brise le pacte relationnel : si le boulanger se cure le nez avant de toucher votre croissant, a priori le pacte est brisé.

Évidemment plus la relation est complexe (relations sentimentales, amicales), plus le pacte l’est.

Eh bien il existe évidemment un pacte relationnel employeur/employé. Dans un contexte sain, il implique, grosses masses, du côté de l’employeur : fournir un cadre clair (des horaires de travail à la grille de rémunération et d’évolution, en passant par ce qui est permis et ce qui ne l’est pas) et maintenir une séparation entre le privé et le pro. Du côté de l’employé : bien bosser et respecter le cadre. Un pacte sain, c’est un pacte lisible, où tout le monde sait ce qu’il a à faire.

Le truc avec le bon patron, c’est qu’il veut s’affranchir du pacte employeur/employé, et le remplacer par un pacte plus amical, voire familial. Le problème, c’est qu’on n’a généralement pas la capacité de virer ses amis. Qu’on n’a normalement pas la main sur le contrat de travail de sa famille (sauf quand notre épouse est notre assistante parlementaire, bien sûr).

Ne pas assumer le pacte relationnel employeur/employé, c’est nier son pouvoir en tant que dirigeant. C’est même culpabiliser d’avoir du pouvoir, et donc tout faire pour l’effacer. Le problème, c’est que ce pouvoir existe de facto. Et c’est là que c’est malsain. Parce qu’on cherche une relation amicale là où il y aura toujours une logique de pouvoir, et qu’on crée donc des relations ambiguës. Dans un pacte relationnel sain entre dirigeant et subordonnés, la confiance ne se décrète pas, elle ne se provoque pas en livrant des dingueries sur sa vie perso ou en se mettant la honte en soirée : elle s’établit progressivement. Elle se construit au fur et à mesure, par la relation de travail, par le contenu du travail, par ce qu’on accomplit ensemble et les preuves de fiabilité qu’on se donne. C’est moins sexy hein ? C’est normal, l’entreprise c’est pas l’endroit pour les paillettes.

2/ La pyramide des besoins des employés

Ce qui nous amène à une question : qu’est-ce que vos employés attendent vraiment de vous ? Et c’est là qu’on a envie de faire un parallèle avec la pyramide de Maslow, sur la hiérarchie des besoins humains. Rassurez-vous, on ne va pas vous décocher un graphique. En fait, tout ce qui nous intéresse, c’est la base de la pyramide.

Parce qu’on va clarifier les choses : il n’y a aucun problème à être sympa. Le truc, c’est qu’être sympa, ça arrive en bonus quand on a déjà, en tant que patron, rempli pour ses employés deux besoins fondamentaux. Le deuxième va vous étonner : 

  • Avoir un cadre : on vient d’en parler. Des règles, des limites, que chacun connaisse sa place. Même les personnes excessivement douées ont besoin d’un cadre, car une entreprise, c’est un système, et personne n’y évolue en vase clos.

  • Ne pas savoir ce qui se passe en cuisine : ah là peut-être qu’on vous surprend. Mais, par exemple, quand vous allez au restau, vous voulez… votre plat : vous n’avez pas besoin de connaître toutes ses étapes de cuisson, les sujets d’engueulades dans la brigade ni le coût des matières premières. Eh bien pour les employés d’une boîte, c’est pareil. Les coulisses, ils n’ont ni besoin, ni foncièrement envie de les connaître. La vie de leur boss, ses états émotionnels, ce n’est pas leurs affaires. Ses doutes sur la boîte, ses inquiétudes sur les chiffres, les problèmes business ? Encore moins. Ce n’est pas leur responsabilité, et leur transmettre ces infos, c’est non seulement briser le pacte, mais les embarquer dans des problèmes sur lesquels ils n’ont pas de maîtrise et qui ne sont pas de leur responsabilité.

C’est… c’est tout. C’est la base. Si vous assurez ces deux besoins (en plus d’assurer la pérennité de la boîte évidemment), vous assurez déjà les bases de votre rôle de dirigeant envers vos employés.

Ok. Mais si c’était simple de s’extraire de la dynamique du “bon patron”, ça se saurait. 

Si vous sentez qu’on vous a pas mal secoués depuis le début de cet article, on a une mauvaise nouvelle : ce n’est pas fini. Car pour définir ce qu’est un pacte relationnel sain avec ses employés, il faut renverser trois mythes.

1/ Accepter que vos employés sont vos employés, pas vos amis

Et encore moins vos amants, s’il était besoin de le préciser. On peut avoir des relations fortes. De la proximité. De la complicité. Mais tant qu’il y aura une relation contractuelle, tant que l’un donne de l’argent à l’autre, ça ne peut pas être complètement de l’amitié. Il est urgent, essentiel de faire le deuil de cette idée. 

C’est difficile, mais il ne faut pas surestimer votre rôle dans la vie de vos employés. Vous n’avez pas la responsabilité de leur bonheur dans la vie. Ils n’ont pas la responsabilité du vôtre. Si vous attendez que votre boîte réponde à vos besoins émotionnels, alors vous allez forcément sacrifier les besoins de la boîte.

2/ Accepter ce qui vient avec le rôle

Une grande partie de ce qui sous-tend le syndrome du bon patron, c’est de ne pas assumer d’exercer un pouvoir sur les autres. Chercher une horizontalité qui ne peut pas exister. Assumer ce qui vient avec le rôle, c’est d’être responsable de poser le cadre, mais c’est aussi accepter qu’avec la fonction vient une forme de solitude, car nos employés ne sont pas nos confidents, et encore moins nos égaux.

Mais c’est aussi accepter de licencier. On ne va pas se faire des amis, mais voilà : souvent les bons patrons ne veulent pas licencier par peur d’être les méchants de l’histoire. Le problème, c’est que s’il n’y a pas de sanction, alors il n’y a pas de limites, et s’il n’y a pas de limites, tous les débordements sont possibles. Une partie des employés va profiter de sa faiblesse pour ne rien faire ou avoir des comportements toxiques, ce qui va faire tache d’huile et décourager les autres de bien se comporter. Être dirigeant, c’est assumer l’intégralité du rôle, et ça implique d’assumer que les gens qui sous-performent, abusent ou font n’importe quoi ne restent pas dans l’entreprise

3/ Combler ses besoins émotionnels dans sa vie perso

Pour réussir à ne plus attendre de ses employés qu’ils jouent le rôle d’amis ou de confidents, il faut trouver ces choses-là ailleurs. C’est normal d’avoir besoin de s’épancher sur des doutes, ses inquiétudes, dans la vie ou pour la boîte : mais pour ça il y a les psys, les coachs, les potes, les conjoints, tout, absolument TOUT mais pas ses employés. Il est essentiel de remplir ses besoins émotionnels et son besoin d’être aimé en-dehors de la boîte, d’avoir des relations riches, une vie remplie, pour échapper à la tentation de mettre tous ses œufs émotionnels dans le même panier.


A priori, si vous avez lu ça et que vous vous êtes reconnu dans l’attitude comme dans les effets pervers du mythe du “bon patron”, ça a piqué un peu. 

Alors on va commencer par vous dire une chose : c’est extrêmement fréquent de tomber dans le piège du bon patron. On le voit tout le temps. Ça arrive à beaucoup de dirigeants, de tous âges, hommes comme femmes. 

Et on va vous dire une autre chose : ça ne sert à rien de se flageller, car ça part d’une bonne intention. Vous avez des valeurs, vous voulez le meilleur pour les autres, c’est l’exécution qui est maladroite. Mais dans l’absolu, non seulement votre volonté est louable, mais elle est le préalable au fait d’être, vraiment, un bon dirigeant.

Maintenant, si vous avez envie d’assumer votre rôle et changer des choses dans votre façon de faire, il va nécessairement y avoir une phase de transition et de transformation. Pour la mener, voici quelques clés (et évidemment, si vous avez envie de vous faire accompagner dans cette transition, parlons-en) :

  • Commencer par faire le tri dans votre garde rapprochée : le mouvement partira de vos C-levels. Ce sont vos C-levels qui donneront l’exemple et infuseront le changement : il faut qu’ils soient en accord avec votre façon de faire. C’est le moment d’identifier ceux qui ne le sont pas, et notamment ceux qui ont profité de la situation : les gens qui cherchent des excuses, sont improductifs, décalent les deadlines… voire sont extrêmement performants et appréciés mais vous dévalorisent et vous font perdre confiance en vous. 

  • Vous appuyer sur ceux qui sont restés droits : dans une culture dominée par un “bon patron”, il y a souvent des éléments qui passent sous le radar parce qu’ils n’ont pas joué le jeu de faire copain/copain. Ils sont restés droits, ont défini leur propre cadre, respecté leurs propres valeurs. Ce sont les personnes sur lesquelles s’appuyer pour construire l’après.

  • Assumer d’être un peu chiant. Chiant dans le sens “ennuyeux”, car ça implique de sortir de la tyrannie du cool. Mais aussi dans le sens “ne pas toujours faire plaisir”. Vous réaliserez très vite que si vos employés ne sont pas toujours satisfaits de vos réponses, ils vous seront reconnaissants de leur donner un cadre.

  • Assumer qu’il y aura du turnover : changer un pacte relationnel, c’est compliqué. Il y a de la surprise, de la réticence, et parfois un peu de casse : des gens vont refuser le changement et partir de la boîte. Ceux qui vont l’accepter et rester sont les bonnes personnes à garder. 

Alors oui, on ne va pas se faire que des amis avec cet article. On est évidemment curieux d’avoir vos réactions. Mais, on l’a dit et on le répète : même s’il y a des pièges, c’est en voulant être un bon patron qu’on parvient réellement à l’être. Être en mouvement, tendre vers le meilleur, c’est déjà le début du chemin.

Félix et Jean

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Punchline

Par Punchie

Nous sommes Félix et Jean, le duo Punchie, entrepreneurs et coachs depuis 7 ans, spécialisés dans l'amélioration de la performance des dirigeant·es à travers les interactions et la communication.
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