Pourquoi tant de gens craquent après un exit ?

Et pourquoi ça vous concerne même si vous ne vendez pas une boîte

Punchline
8 min ⋅ 11/09/2025

Voici Punchline, la newsletter du duo Punchie. Nous sommes Félix et Jean, entrepreneurs et coachs depuis 8 ans, spécialisés dans l'amélioration de la performance des dirigeants et dirigeantes à travers les interactions et la communication. Notre mission : soulever les bonnes questions, décrypter les dynamiques d'équipe, aider les leaders à gagner en lucidité et à prendre des décisions.

On espère que vous avez passé de bonnes vacances avec tout le repos qu’il vous fallait. Notamment parce qu’on attaque la rentrée sans transition avec un sujet qui pique : le fameux gros coup de mou après un gros succès.

Vous voyez la win ?
La belle win, bien photogénique. Le fondateur ou la fondatrice qui vient de signer un exit ou une grosse levée, coupe de champagne à la main, sourire XXL ? La sportive bras levés qui vient de gagner le tournoi de ses rêves ? L’artiste qui gagne un award et le respect de ses pairs après des années de galère ?

La win quoi !
Sur le papier, cette personne vient de réaliser son rêve. Elle a gagné au jeu de la vie. Pour les autres, c'est évident : elle ne peut être qu'heureuse.

Et pourtant, souvent, juste après ce moment paillettes… c’est la dep. Quand Serena Williams fait un comeback de l’espace et atteint son but ultime — re-gagner Roland Garros — eh bien 5 minutes après, dans les vestiaires, elle dit à son coach : “bon, on fait comment pour gagner Wimbledon maintenant ?”. Dans le cas d’une vente d’entreprise, les anglophones appellent ça le “post-exit blues” : un vide existentiel qui amène un grand nombre de founders après une revente à… soit rester en position foetale dans leur lit pendant des mois, soit prendre des décisions hâtives, comme de réinvestir tout leur argent un peu n’importe comment. Même s’il n’y a pas d’étude précise sur le sujet, on lit des chiffres comme  40% des fondateurs/fondatrices qui disent ne pas avoir été assez préparés pour la vie après l’exit.

Et c’est difficile à entendre pour les autres : t’as de la thune, t’as du succès, t’as tout pour être bien, alors franchement, pourquoi t’es pas bien ?

Et c’est marrant, mais quand 1/ fait rare, on aborde le sujet (comme le fondateur de Loom qui a déclaré “Je suis riche et je ne sais pas quoi faire de ma vie” après son exit) 2/ fait encore plus rare, on réfléchit aux causes (par exemple dans cet article sur les reventes de PME), généralement on va chercher… dans ce qui se passe juste avant, pendant ou juste après l’exit, avec des explications comme “le stress du vide”, ou “le deuil”. Il y a même de plus en plus de “clubs” et d’offres payantes qui accompagnent ces founders après leur sortie pour les aider à trouver quoi faire de leur vie (et de leur argent).

Ben nous, on a un truc à vous dire.

Ce truc c’est : le problème, c’est pas le moment de la win. Ni juste avant. Ni juste après.

Le problème, il commence bien plus tôt. 

Et ce problème, nous on appelle ça : le War Mode.

On va vous expliquer. Vous allez voir, on va appliquer ça à l’entrepreneuriat et notamment aux reventes d’entreprise, mais ça marche exactement pareil pour tous les autres grands buts dans la vie, que ça soit “publier un bouquin”, “retaper un corps de ferme” ou “percer sur les réseaux”.

La définition

Le war mode, c’est se mettre en mode commando – mais à long-terme – pour atteindre un but lointain et ambitieux. Plus rien n'a d'importance que l'objectif. On donne tout, on bosse tout le temps, on sacrifie sa vie sociale, son couple, sa santé, parce que quand on aura atteint le but, tout ira bien pour toujours.

On est sûr que vous voyez : c'est le modèle classique de l'entrepreneur qui charbonne nuit et jour, a un agenda rempli comme un bagage cabine Ryanair et ne vit que pour ✨les millions ✨.

Mais le truc.
Le truc avec le War Mode.
C’est que souvent, son objectif est flou. 

“Vendre la boîte" ou “lever X millions” paraît clair pourtant ? Mais la réalité de ce que ça implique, la forme concrète que ça prendra, restent imprécises. On y pense peu. Tout ce qu’on sait, c’est que ça sera forcément une libération : tous les problèmes seront réglés comme par magie du jour au lendemain.

Super mais en quoi c’est un problème ?

C’est un problème pour trois raisons : 

1/ La première, on vient d’en parler : quand on est en War Mode, atteindre son but n’apporte pas toujours la libération espérée. Souvent, on se retrouve à se dire “ah, c’est juste ça ? Bah ils sont où le bonheur et la plénitude ?”

Car pendant tout ce temps passé en mode commando, on a su faire une seule chose, et y on a dédié toute sa vie. Alors quand ça s'arrête, on ne sait plus quoi faire de sa peau. Généralement… c’est là qu’on repart pour un tour à refaire exactement la même chose, alors qu’on s’était promis de faire de l’humanitaire.

2/ La deuxième raison : quand on est en War Mode, au passage, on sacrifie tout le reste. Sa famille, son couple, ses potes, sa santé, ses envies.

C’est pas pour rien qu’on a pris une métaphore guerrière : comme la guerre, le War Mode justifie tout pour un objectif unique, et vient en package avec son lot de grandes valeurs (souffrance, sacrifice, honneur, sens du devoir) comme des évidences jamais questionnées.

Mais tout ce qu'on aura sacrifié, on ne nous le rendra pas, et ça ne reviendra pas comme par magie quand on aura atteint notre but. Quand on se retrouve face à soi-même 5 minutes après la win, on n'a rien à quoi se raccrocher. Plus de passions, un lien ténu avec ses proches, un cercle social éloigné. Alors on replonge dans ce qu'on connaît.

3/ La troisième raison : parfois, on craque en chemin. En War Mode, on se sent surpuissant, et tout nous le confirme : compte en banque, investisseurs, presse, entourage. On étouffe les signaux d'alerte jusqu'à ce que le corps tire le frein à main : on enchaîne les insomnies, les angoisses, on craque. Souvent, c'est là que le board (et généralement, les mêmes investisseurs qui jusque-là applaudissaient le sur-régime) sort le fondateur dans des conditions peu avantageuses pour le remplacer par un gestionnaire plus expérimenté.

Bon, là, si on a réussi notre coup, on est parvenu à mettre des mots sur quelque chose que vous avez observé, chez vous ou autour de vous, sans peut-être parvenir à le définir. Maintenant, arrive le moment où on risque de vous surprendre. 

Car il y a deux types de War Mode

1/ Le plus évident : le mode “destroy”

"Work hard, play hard". On donne tout dans le taf, puis on compense aussi intensément : bouffe, picole, fête. Cercle vicieux garanti : on bosse dur → on mérite bien de se mettre des races → on perd en lucidité → on bosse encore plus.
Celui-là, vous l’aviez. C’est le deuxième mode qui va vous surprendre. 

2/ Le mode “John Wick”

L'ascétisme ultra-sain du tueur professionnel. Vie rangée, sport, alimentation contrôlée, émotions bien en ordre. On est une machine de productivité tournée vers un unique but. Ce mode est célébré car il a l'apparence d'une vie saine, mais c'est la même mono-obsession, le même vide, avec les mêmes effets à long-terme.

Les signaux d’alerte

Bon, nous en tant que coachs, c’est un de nos jobs de détecter le War Mode. Et on va vous faire une confidence : c’est pas difficile. Ce qui le différencie de l’énergie saine ? Une personne en War Mode arrive en coaching avec généralement ce cocktail : 

excitation x sur-optimisme x manque de lucidité

Quand on est en War Mode, on est bourré de certitudes, notamment celle que "tout va bien". Nouvelles inquiétantes ? Tout va bien. Le corps lance des alertes ? Tout va bien. Il n'y a plus aucun relief, on fonctionne sur un mode émotionnel unique. Et quand une personne – par exemple un coach – met le doigt sur les alertes, elle est taxée de rabat-joie qui veut casser la dynamique. 

On n’est pas des scientifiques mais voici notre théorie : ça ressemble au fonctionnement de l'adrénaline, cette nitro du cerveau quand on est en danger, qui met le corps en sur-régime, fait l'impasse sur certaines sensations désagréables, et donne une impression de surpuissance. Et l’adrénaline c’est addictif : tout est plus intense, on est dur au mal, alors on en redemande. Ça expliquerait pourquoi on a envie de tout sauf d'écouter ceux qui nous alertent.

Ce qu’on a décrit vous concerne ? Ça ne sert à rien de vous flageller : si le War Mode est si courant, c’est qu’il s’inscrit dans un système bien plus large que vous.

C’est le bain culturel dans lequel on baigne

Depuis la chambre d'ado – où on nous demande si “ça bosse” et où la nuit blanche de révisions est presque un rite de passage – jusqu'aux films qui célèbrent les gens qui sacrifient tout pour “leur rêve”, la société bénit ceux qui transpirent. Les boîtes recrutent des "morts de faim", les pitch decks promettent des croissances exponentielles en un temps record. Le War Mode est bien souvent présenté comme la seule façon de réussir.

C’est rassurant

Le War Mode prospère parce qu’il rassure : avec un objectif flou mais ambitieux, on peut s'abandonner à l'idée de tout donner. Ça évite les questions difficiles : est-ce un bon objectif ? Est-ce que je le veux vraiment ? Est-ce que les moyens mis en œuvre sont les bons ? Pas besoin de réfléchir, il suffit de tirer toutes les cartouches et de savourer la dopamine du ” je suis à fond, rien à me reprocher”.

C’est identitaire

Le mode "commando" devient une identité puisqu’il évacue tout le reste. Une identité pour soi comme pour sa boîte d’ailleurs, car on l’exige souvent de ses associés et de ses lieutenants. On est en mission, on se sent pousser des ailes. Même si le quotidien est désagréable, on se sent bien. Voire, c'est parce qu'on souffre qu'on se sent bien.

Bon, on va parler solutions quand même rassurez-vous. Vous allez voir, réussir sans passer par le War Mode, c’est possible. Mais parfois, c’est plus facile quand on est accompagné(e). Pour garder la tête froide, se poser les bonnes questions… ou juste sortir du pilote automatique. Besoin d’un coup de main ? Faites-nous signe.

On arrête de le glorifier

Une autre raison à notre métaphore guerrière dans cet article : la guerre, comme le War Mode dans l’entrepreneuriat, ont en commun qu’ils sont glorifiés. Les films de guerre, c’est le marketing du “tous les moyens sont bons” pour atteindre la victoire, et on ne se demande jamais si ça valait le coup. Le War Mode, c’est pareil : on vit sa vie comme une épopée, ça fait un storytelling incroyable, mais…

On ne peut s’extraire du War Mode comme fonctionnement qu’en sortant du War Mode comme seul narratif valable. Ça implique de poser des questions qui piquent : est-ce que mon but vaut vraiment le sacrifice ? est-ce que c’est ce que je veux vraiment ? est-ce que cette promesse lointaine vaut le coup d’un quotidien difficile aujourd’hui ? 

Là, on est prêt pour un changement quasiment philosophique : on reprogramme sa vision et on réalise que l’objectif – par exemple l’exit – ne sera jamais le remède miracle à nos angoisses. Il ne résoudra aucune des problématiques qu’on a mises sous le tapis en chemin. A la rigueur, ça résoudra la question financière, mais on aura les mêmes problèmes existentiels, juste dans un cadre plus luxueux.

On passe alors de “je bosse pour un grand soir libérateur” à “je façonne chaque jour une vie où je me sens bien”. On se met à œuvrer au quotidien pour un équilibre, un bien-être aujourd’hui, pas demain. Et c’est de ce cercle vertueux que découle la performance : les objectifs deviennent la conséquence naturelle d’un quotidien équilibré, et plus seulement un but en soi.

On varie les modes de fonctionnement

Le problème du War Mode, c’est qu’il devient notre seul mode de fonctionnement, et on l’a vu, ce n’est pas tenable sur le long-terme. Le mode commando reste un outil, pas un OS. Un sprint de trois mois pour sauver un contrat vital ? OK. Une boîte entière qui fait front pour affronter un gros problème juridique ? Pas de souci. Mais ce mode a une fin. En fait, ce n’est pas un War Mode, c’est un “battle mode” : un début, une dépense d’énergie intense, une fin, et puis un atterrissage. Entre deux batailles, on repasse à l’équilibre  : horaires soutenables, récupération programmée, vie personnelle en état de marche. 

On arrête de confondre vitesse et sensation de vitesse 

Ça c’est très important. Aujourd’hui, tout va vite, et dans l’entrepreneuriat, c’est pire. Avec des objectifs ambitieux à atteindre avant la concurrence, toutes les courses sont des sprints. Donc à nous lire, là, vous vous êtes peut-être dit : ils sont bien gentils les gars de Punchie, mais moi je ne peux pas me permettre de ralentir et d’aller embrasser des arbres, j’ai des deadlines à tenir.

Et c’est là qu’on vous répond : il ne faut pas confondre la vitesse et les sensations de la vitesse. Remplir son agenda à ras-bords pour se sentir occupé, pour avoir l’impression d’avancer… c’est l’opposé exact de la vitesse. La moitié de ces meetings vont être nuls et contreproductifs, et vont vous priver de ce dont vous avez cruellement besoin : du temps pour penser et du repos pour durer. Vous aurez l’impression de vivre à cent à l’heure, alors que vous allez à cent à l’heure vers le burn out, le crash de la boîte, ou des changements de cap permanents.

On devient plus stratégique

Il n’y a qu’en alternant le combat et le temps de stratégie qu’on gagne les batailles. Si on est tout le temps le glaive à la main, on s’épuise.

Il faut prendre du temps pour la stratégie. Et ça commence par définir des objectifs.
Des objectifs concrets. “Faire une levée/un exit” ce n’est pas concret. A quelle date ? À combien ? Pour faire quoi ? Quelle est la prochaine étape ? Combien de CA il faut atteindre, quel EBITDA ? Quel salaire on vise à se payer en chemin ou après ?

Une fois qu’on a défini l’objectif, on découpe. On transforme l’horizon flou en périodes courtes, toutes tendues vers un but. L’objectif est de vendre dans un an et demie ? Top. Alors on fait quoi les trois prochains mois ? Les suivants ? Et découpé en semaines, ça donne quoi ? Ça permet de réguler l’effort, et surtout, d’intégrer des phases de repos dans le plan.

On exclut alors de son agenda tout ce qui ne nous rapproche pas de notre but, pour récupérer de la respiration, du temps, de la réflexion. On retrouve ses sensations, on réapprend à s’écouter, et on peut à nouveau identifier ce qui bouffe des points de vie sans servir à rien, et ce qui donne de l’énergie. On arrête les premiers, on met le paquet sur les deuxièmes, car ils vont permettre de trouver un moteur durable pour aller vers son but sans craquer.

On accepte l’inconfort au début

On prévient, ce qu’on vient de décrire, c’est pas facile. On dirait qu’on est tout naïfs à recommander aux gens de lever le pied, mais c’est tout l’inverse : chercher l’équilibre, c’est beaucoup plus dur que de rester en War Mode. On l’a dit, le War Mode, c’est rassurant. Ça ne laisse pas le temps de penser, ça remplit le vide. S’écouter, c’est flippant, c’est inconfortable. Ça fait remonter des angoisses qu’on avait étouffées. 

Mais croyez-nous, sur le long-terme, c’est la meilleure solution. Pas seulement pour éviter le craquage juste après la ligne d’arrivée, mais parce qu’on peut tenir les mêmes objectifs… en appréciant le chemin pour les atteindre. En appréciant le quotidien, en ne rechignant pas à se lever le matin, on refait de sa boîte un endroit où on a envie de vivre et de passer du temps. Et quand on trouve cet équilibre… eh bien on devient un meilleur dirigeant pour sa boîte. On est à même de rester lucide, de fixer un cap et de s’y tenir sans se laisser ballotter par les éléments.

Et résultat, quand on atteint son objectif, on est assez épanoui pour savoir en profiter, et construire un “après” sain, en évitant que tous nos problèmes nous reviennent en boomerang.

On espère que cet article a été utile et a éclairé des questions qui vous parlent, n’hésitez pas à partager cette newsletter autour de vous, et on se retrouve dans un mois pour une nouvelle édition de Punchline ! 

Jean et Félix

Envie d’aborder les questions qui piquent, de gagner en lucidité et de trouver l’équilibre pour performer sur la durée ? Discutons-en : 


Punchline

Punchline

Par Punchie

Nous sommes Félix et Jean, le duo Punchie, entrepreneurs et coachs depuis 7 ans, spécialisés dans l'amélioration de la performance des dirigeant·es à travers les interactions et la communication.
Si vous nous connaissez, vous savez qu’on aime bien travailler dans les coulisses. Être des compagnons de route, mais rester un peu dans l’ombre.
Eh bien c’est fini : avec Punchline, notre newsletter mensuelle sur Linkedin, chaque deuxième jeudi du mois, on met des mots sur les défis du leadership.